Alain, le navet et la grenade.

Chers gourmands légumiers,

j’ai pensé à vous lors du salon Paris des chefs où j’ai traîné, il y a déjà quelque temps, une bottine délavée. Si certaines interventions nommées « duo de création » relevaient, il faut le dire, plus du pathétique que du gastronomique (j’aimerais développer pour ne pas que l’on me taxe de mauvaise langue, mais très honnêtement, si je le fais, je choquerai mes lecteurs les plus sensibles), j’ai eu la chance de rencontrer des gens très inspirants.

Alain Passard en premier lieu, chef superstar du restaurant triplétoilé l’Arpège. Je l’ai vu cuisiner en direct, assise au premier rang, surprise et émue de découvrir que j’appliquais déjà intuitivement certaines de ses recommandations – je pense qu’on peut dire principes – culinaires. Alors toi lectrice, toi lecteur, qui chéris le vert impudique de la fève ôtée de sa pellicule, toi qui coiffes les fines racines du poireau d’un geste maternel, toi qui, l’été venu, humes les branches des tomates pour te délecter de cette odeur de paradis perdu, toi, oui toi, l’amateur de cuisine légumière… écoute bien car c’est Alain qui te parle à travers Foodway aujourd’hui ! :)

Alain te parle…

1- « On n’a rien fait avec une betterave ou une carotte. Tout reste à faire »
Je suis mille fois d’accord. Nul besoin de produits luxueux pour faire de la cuisine de folie, la nature regorge de produits aussi simples qu’incroyablement bons.

2- « Tant que vous jouerez saison, il n’y aura pas d’erreur »
Mélanger l’été et l’hiver dans l’assiette n’est pas écolo et pousse de surcroît à la faute de goût, selon le chef. Un beau panier de légumes racines en hiver, c’est le livre de cuisine qu’a écrit la nature pour nous. On peut se passer de tomates et de fraises quelques mois, le plaisir de les retrouver n’en est que plus intense.

3- « Toujours prendre le temps de regarder ses légumes »
Laissez leur couleur vous inspirer, composez un bouquet, faites des familles… afin de choisir qui passera à la casserole. Aussi, respectez la fibre de chacun : coupez par exemple les carottes en aiguillettes, pas en rondelles.

4- « Optez pour le confort de cuisson »
Le chef veut nous voir cuisiner dans des sauteuses plus grandes pour une circulation parfaite de l’eau de cuisson et des sucs. Et l’on travaille à plat : pas de légumes entassés les uns sur les autres ni jetés dans une casserole d’eau bouillante. Concrètement, on doit voir le fond de la casserole entre chaque morceau de légume… Métaphoriquement, il faut que tout ce bazar respire. Bref, le microcosme de la cuisson est un écosystème fragile, à chérir.

5- « Gommez le geste »
C’est beau. Et ça tombe bien car le vrai geste de chef, je ne l’avais pas, ou si peu. Alain nous invite à ne pas intervenir dans la cuisson. On ne touille pas, on ne bidouille pas. On donne juste assez d’eau aux légumes pour s’ébattre avec volupté dans la sauteuse. Il prétend même ne pas avoir choisi l’ordre dans lequel il y a déposé les différentes espèces légumières. Tout le monde pensait qu’il avait mis les coriaces en premier et les rapides à cuire en dernier, comme tout bon cuisinier. Eh non… Mon intime connaissance botanique de la fibre végétale, je peux la revendre sur Ebay maintenant qu’Alain a sacrifié la science des textures sur l’autel de la spontanéité. J’ai senti souffler dans la salle à ce moment-là un vent d’incrédulité et d’agacement ! Le résultat est l’hétérogénéité finale des textures, programme acceptable, je pense.

6- « Une assiette en devinette »
Il dépose sa jardinière de légumes sur assiette bien chaude et gratte sur le dessus un voile invisible de parmesan. S’ensuit un filet d’huile de colza torréfié et quelques lamelles de chou rouge cru. Fleur de sel.

Bref…

j’ai tourné et retourné follement ces éléments dans ma tête pour finalement prendre un peu de distance. Ma façon de cuisiner manque de ceci et de cela et ne peut nullement être comparée à celle d’un mastodonte tel que Alain Passard, mais bonne nouvelle, j’ai encore du temps devant moi pour me frotter à tout ça. Et l’important, c’est d’abord l’ivresse. Pas celle à laquelle vous pensez ;) mais celle qui s’empare de nous lors de la création, comme dit le chef :

« J’entre en vibration avec les légumes. Je suis dans une ivresse totale de couleurs, de parfums. »

Voici donc aujourd’hui le résultat de l’une de mes dernières ivresses culinaires, une création non pas « à la manière de » mais « en souvenir de »… de Alain bien sûr, histoire de se mettre quelque chose sous la dent en attendant que nos chemins se croisent, peut-être, à nouveau.

Navet en croûte de sel, jus de grenade et vert fluo de poireau


Oh comme ce jus est magique...

Pour 2 personnes

    Préchauffer le four à 180°C. Nettoyer sans les peler 2 très petits navets. Mettre du sel de l’Himalaya (ou de la fleur de sel) au fond de deux ramequins puis placer les navets sur le sel. Terminer de remplir les ramequins de sel, sur les côtés des navets et sur le dessus. Placer les ramequins au four et laisser cuire 30 minutes. Pendant ce temps, éplucher 2 grenades pour détacher leurs grains. Les presser dans un mortier, très délicatement, et récupérer le jus à travers une passoire. Mettre le jus de grenade à réduire sur feu très doux, dans une petite casserole. Laver et prélever le vert d’un poireau, mais uniquement la partie vert fluo de ce dernier. Le couper en fines lamelles dans sa longueur. Dès que les navets sont prêts, les sortir de leur croûte et les placer dans la casserole avec le jus de grenade en cours de réduction. Laisser ce petit monde 10 minutes sur feu, toujours très doux et mettre à revenir le vert de poireau dans un peu d’huile d’olive à feu doux, en mélangeant souvent et en ajoutant une pincée de sel.
    Servir le navet grenado-juteux sur un lit de poireau.

Le subtile parfum du navet que l’on retrouve dans le caramel de grenade, c’est pour vous dire tout ce que je ne vous ai pas dit depuis mon dernier billet… vous souhaiter la bonne année, par exemple, et vous remercier de votre présence et votre soutien.

Bien culinairement,

BiÔna.

“Alain, le navet et la grenade.” : 9 commentaires - comments

  1. …..d’abord; j’ai enfin une excuse pour la taille de mes casseroles destinées à cuisiner pour une personne: pas de superposition! ensuite les mini navets nouveau taille œuf de perdrix, j’ai ( heureusement je mange les fanes, sinon ça ferait cher du kilo)….pour les grenades, hélas, ici c’est septembre…
    ..pas besoin de remerciements, si je suis chez toi, c’est que ça me fait plaisir…..
    bonne continuation…

    > Merci ! :) (Oui, les fanes de navet, c’est bon, ça !)

  2. Alain le navet… ça va me rester bien en tête ça ! ^^
    Blague à part, ta recette me fascine, je ne parviens pas à imaginer ni le goût ni la texture de cet audacieux mélange.
    Une seule solution : cuisiner Alain bien vite.

    > A moins que je ne te fasse goûter ! :)

  3. Tiens, tiens, ça me rappelle le Paris des chefs ces petites phrases.
    Étant un grand fan du navet, le mal aimé, je suis sous le charme de la photo et de la recette. C’est de loin le navet le plus appétissant que j’ai vu !

  4. Merci Loïc ! Vive le navet. (« Comité de soutien pour le navet mal aimé », bientôt sur facebook ;))
    Je vois que nous avons les mêmes références ! Je viens de faire un tour sur ton blog et j’avoue que tes histoires de légumes racines « oubliés » (ou plutôt méconnus) m’ont donné sacrément faim. Il me faut du cerfeuil tubéreux. Ceci est un appel au secours… à bon entendeur !

  5. D’ivresse, et de spontanéité, et d’envie et de… de soi-même aussi ! Même quand « en souvenir de « … Peut-être même surtout « en souvenir de ». Bref… Moi, ton plat m’évoque des saveurs inconnues et fruités, doucement hivernales et colorées, et c’est beau, je trouve…

  6. Merci de ton adorable commentaire ! « soi-même », c’est vrai que c’est important.

  7. Avec tes recettes les légumes hivernaux dévoilent un nouveau visage, très tentant alors qu’en cette période on pourrait penser avoir plus ou moins fait le tour de ces ingrédients.
    A quand un atelier de cuisine sur les légumes « oubliés » et souvent mal aimés, comme les raves ?

    Merci pour ce compte-rendu inspirant. Alain Passard est vraiment un magicien des saveurs.

  8. Merci Sandrine. Oui, un atelier légumes oubliés, excellente idée, peut-être pour … juin ? (les thèmes pour avril et mai sont déjà définis :/)

  9. Ca sera une idée pour l’an prochain :). Ou alors pour un atelier du mardi soir ? J’espère pouvoir y assister un de ces jours (pas tout de suite malheureusement) je suis sûre que tes conseils sont passionnants !

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